maison philippe starck

Nous sommes au début des années 90, en pleine crise de l’immobilier (en dix ans, le marché a baissé de 43%. En France en 1979, on construisait 280 000 maisons; quinze ans plus tard, on en bâtit moins de 120 000). Dans le neuf, les constructions sont réalisées selon un modèle quasiment unique, celui des grands constructeurs de maisons individuelles. Ils réalisent des logements de manière répétitive, sans recherche particulière ni diversité au niveau de l'architecture, des matériaux utilisés, des performances énergétiques, de la circulation, de la lumière. Les constructions en bois sont pour ainsi dire inexistantes sur la grande majorité du territoire français. Les matériaux couramment mis en œuvre sont le parpaing béton, le crépi, la tuile béton, les charpentes industrielles fluettes, les menuiseries PVC ou bois exotique bon marché provenant de forêts non gérées. La géométrie est souvent la même, toiture à deux pentes et petites ouvertures. Les architectes ne sont que très rarement mis à contribution, et lorsqu’ils le sont, c’est généralement pour valider des plans déjà réalisés par les constructeurs, lorsque la surface du logement dépasse un certain seuil (obligation légale). Le paysage bâti français s’uniformise inexorablement et perd peu à peu son identité, son charme et son sens.

Penser une maison « autrement », une maison qui intègre de vraies valeurs architecturales, humaines, durables. La proposer à tous les français à travers un vecteur de diffusion populaire, le catalogue des 3 Suisses

Philippe Starck observe ce phénomène depuis de nombreuses années. Il est choqué par ce qu'il voit, et constate que le temps passant rien ne change, bien au contraire. Choqué que des familles fassent des économies, travaillent et s'endettent toute leur vie pour un objet imposteur, une construction de piètre qualité, mal finie, qui de toute évidence, n'affrontera pas le temps dignement. Alors, le designer s'engage. Il décide de mettre les pieds dans le plat. Pour lui, il s’agit avant tout d’un acte politique, un pavé dans la mare visant à dénoncer une loi abusive permettant aux "constructeurs-voleurs"* de monopoliser le marché français [*les grands groupes de la construction] .

Le projet «Starckhouse» voit le jour en 1992, sous l'impulsion du designer, qui concrétise ainsi un rêve qu'il mûrit depuis de nombreuses années. Des compétences de haut niveau, diverses et complémentaires sont réunies afin de penser une maison «autrement», une maison qui intègre de vraies valeurs architecturales, humaines, durables et cela en partant d’une page blanche. L’équipe est alors constituée du designer à l'initiative du projet (Philippe Starck), rejoint ensuite par un concepteur urbaniste (Patrick Bouchain), et par de deux architectes (Loïc Julienne et Jean-Marie Mandon), le tout avec le soutien inconditionnel d’un gestionnaire (Daniel Richard), commanditaire du projet et Président des 3 Suisses.

Le 08 janvier 1993, lors d’une interview, Daniel Richard, nous livre les contours du projet Starckhouse: «Ce sera une maison accessible, une maison belle, créative, qui respectera l'environnement. Les distributeurs doivent être créateurs […], un exemplaire de la maison sera construit avant la parution du coffret dans notre catalogue».

Daniel Richard, le 08 janvier 1993

La Starckhouse est conçue dès l'origine pour être implantée en zone faiblement urbanisée (campagne, bord de mer, forêt...). Elle nécessite une surface de terrain au-dessus de la moyenne. D’autres projets réalisés par des architectes là encore de renommée internationale étaient au programme, cette fois destinés aux zones périurbaines puis urbaines, ceci afin de compléter l'offre en couvrant une majorité de besoins (Frank Gehry pour la "Gehryhouse", Jean Nouvel, Aldo Rossi…). Malheureusement, le succès n'ayant pas été à la hauteur des investissements mis en œuvre, aucune suite ne sera donnée.

La rencontre de trois hommes, iconoclastes et engagés

Pour bien comprendre le projet «Starckhouse» et le message qu’il porte, il faut regarder du côté de la personnalité de ses principaux protagonistes. C'est la rencontre de trois hommes iconoclastes et engagés, qui excellent  chacun dans leur domaine, le design, la gestion et le management d’entreprise, l’architecture et l'urbanisme. Ils sont porteurs de valeurs communes profondément ancrées en eux, l’écologie tout d’abord, mais aussi les valeurs humaines, l’éthique et la justice sociale. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder leur parcours respectif :

Daniel Richard (Président des 3 Suisses 1991-1997 et président WWF-France 2001-2008)

 

Ingénieur télécom de formation, il devient rapidement un capitaine d’entreprise reconnu. Il fut tour à tour Directeur général de Blanche Porte, Président des 3 Suisses, Président directeur général de Séphora et intègre ensuite la direction générale des Galeries Lafayette, en tant que conseillé Innovation et développement de la présidence…

Engagé dans une démarche écologique, il sera administrateur du WWF-France  (World Wildlife Fund), il en prendra la présidence en janvier 2001. C’est sous son mandat que le WWF réorientera son action vers la lutte contre le réchauffement climatique. Par ailleurs, Il participe au Grenelle de l'environnement…

Il fut également à la tête du mouvement « Résistances » dont le but est de donner la parole au monde associatif afin de rétablir une justice sociale, de rendre au citoyen sa valeur, et de préserver les véritables enjeux économiques et sociaux. L'environnement, les solutions durables, l'éthique, sont à la base de ce mouvement.

Dès 1990, Daniel Richard intègre l'écologie dans la stratégie du vépéciste, plutôt par sensibilité personnelle que par opportunisme. Construction d'éoliennes, engagement sur la réduction d'émission de gaz, flotte de véhicules électriques, charte avec les fournisseurs, les initiatives des 3 Suisses en matière d'environnement sont remarquées. Cet engagement vaudra à Daniel Richard la Légion d'honneur, qu'il reçoit en 1997 de Corinne Lepage, ministre de l'Environnement.

Lors sa présidence des 3 Suisses, Daniel Richard a redynamisé  l'image de la marque, il  a contribué à la démocratisation de la haute couture et du design en les rendant accessibles au plus grand nombre. Il fait appel à de grands créateurs ou de grandes maisons tels que Castelbajac, Vivienne Westwood, Balenciaga, Philippe Starck, Thierry Mugler, Jean-Paul Gaultier, Paco Rabanne, Cacharel, Courrèges et bien d'autres encore.


Patrick Bouchain (Architecte- Urbaniste-Scénographe)

 

Patrick Bouchain développe et enseigne depuis ses débuts une architecture H.Q.H. (Haute Qualité Humaine) qui vise à redonner de l'humilité et de l’intelligence à l'architecture contemporaine. Son travail est tourné vers l’économie de moyens, l’architecture durable, le réemploi, la mobilité. L’homme est l’environnement sont placés au cœur de son travail. Loin de l’architecture dite « monumentale », il milite pour une architecture « humaniste ».

Pour mettre l’art à la portée de tous, il concevra en 2011 avec Loïc Julienne (qui a également participé à la conception de la StarckHouse) un musée itinérant et gratuit pour le Centre Georges Pompidou, qui s’implantera durant deux ans dans 16 villes françaises. L’accès gratuit et la mobilité de la culture à la rencontre des habitants sont au centre de cette réalisation.

 

L’architecte est également un pionnier en France de la réhabilitation de friches industrielles (La Ferme du Buisson à Noisiel, Le Lieu unique à Nantes, Le Magasin à Grenoble , La Condition publique à Roubaix…) qu’il transforme en lieux culturels. Il réalise aussi des structures dédiées aux spectacles comme entre autres:

Le théâtre équestre Zingaro à Aubervilliers, Bartabas dira de lui "C’est mon aspirine, plus qu'un architecte, c'est un bâtisseur de l'humain. Il aime les gens. Il aime s'intéresser à ce que veulent vraiment les gens ». Le théâtre du Centaure installé à Marseille, l’académie Fratellini (avec Loïc Julienne) à Saint-Denis qui a reçu la mention au prix de l’Equerre d’argent de 2003. Plus récemment,  il a reçu le grand prix de l'urbanisme en 2019.

Philippe Starck (Designer)

 

Est-il encore nécessaire de présenter Philippe Starck, nous ne pouvons énumérer ici toutes ses créations tellement elles sont nombreuses, diverses et variées. Elles vont du presse agrume Juicy Salif au yacht du patron d’APPLE, Steve Jobs en passant par la conception et l’aménagent d’innombrables hôtels et restaurants à travers le monde (ci-dessous, une fenêtre Wikipédia vous donnera une vision encyclopédique de son œuvre).

  

Ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, c’est son engagement historique pour la démocratisation du design avec comme vecteur de diffusion, le catalogue des 3 suisses, de La Redoute et  de Target aux Etats-Unis. Ainsi, une multitude d’objets "design et utiles" entre depuis les années 80 dans les foyers français et américains (pour exemple l'emblématique tabouret "Bubu 1er" en 1991). Il s'engage également très tôt en faveur de l’écologie  en développant différents produits et services tels que: la collection "L'esprit de la forêt" en collaboration avec l'ONF en 1996, les meubles "Boboolo", la nourriture biologique OAO, le catalogue Good Goods (ce premier recueil de «bons produits», «d'objets honnêtes», qu'il sous-titre «catalogue des non-produits pour des non-consommateurs», est une sorte de guide de bonne conduite du «consommateur-citoyen» du troisième millénaire. Son but: inciter à une moralisation du marché par le biais d'objets «pas forcément beaux», mais «bons», «respectueux de la personne» qui puissent faire apparaître «une nouvelle relation entre l'homme, la production et les objets»). Il développe le concept "d’écologie démocratique" avec notamment les éoliennes, une voiture électrique (Volteis), une compagnie espagnole d’huile bio, la corbeille Elise...

boboolo philippe Starck - bo boolo

 Photo : Yann Arthus-Bertrand pour le catalogue Les 3 Suisses, 1996.

 

Devenez "LES GARDIENS DE LA FORET" , c'est la proposition que fait Philippe Starck en 1996 aux clients des 3 Suisses avec la collection "L'ESPRIT DE LA FORET", en collaboration avec l'Office National des Forêts (ONF) et Daniel Richard, PDG des 3 Suisses puis président du WWF-France (World Wildlife Fund).


Ci-dessous, une fenêtre Wikipédia vous donnera une vision encyclopédique de l'œuvre de Philippe Starck.